PLAN
Le tourisme scolaire
Le tourisme n’est pas un concept utilisé très fréquemment dans l’éducation. Cette situation est due au fait que « faire du tourisme » est associé au loisir, au plaisir, tandis que l’éducation est associée aux objectifs, aux activités obligatoires et au système éducatif. Malgré cela, la pratique du tourisme scolaire est assez répandue. Chaque année, des jeunes partent en dans le cadre de séjours organisés par des associations agréées par le ministère de l’Éducation nationale, en voyages d’études ou en camps de vacances. Ces associations organisent pendant ces voyages des activités éducatives et de loisir, exploitant les pratiques du tourisme scolaire développées au xixe et xxe siècles.
Le tourisme pour les jeunes est différent du tourisme des adultes, ses caractéristiques sont dues à l’âge du public et aux objectifs de formation. Dans la grande majorité des cas, les parents choisissent le type de voyage, la destination et l’activité prédominante, mais les activités courantes sont décidées sur place par le personnel d’encadrement. Ils respectent le rythme de développement et d’apprentissage des jeunes, en réalisant des activités de loisir.
Dans leur histoire, les voyages éducatifs ont été influencés par les idées philosophiques de l’époque mais aussi par les méthodes pédagogiques en usage dans les écoles. En fonction de ces deux aspects, nous distinguons quatre grandes périodes constituant la chronologie de la conception idéologique du tourisme scolaire.
La première période est représentée par le xixe siècle et l’émergence des « tours », tandis que la deuxième, pendant le xixe siècle, est influencée par la pensée hygiéniste. La fin du xixe et le début du xxe siècle forment la troisième période avec la constitution et le développement des réseaux des colonies de vacances et la quatrième et dernière période, fin du xxe et début du xxie siècle, est représentée par l’introduction et le développement des voyages touristiques pour les jeunes avec des activités-loisirs.
L’émergence des Tours : à la découverte du pays
Le Tour, ou plutôt « les Tours [1] », sont des livres de lecture courante dans l’école républicaine. Le plus connu [2] est l’ouvrage de Mme Fouillée, qui signait sous le pseudonyme de G. Bruno. Appartenant au genre du roman de formation, roman autobiographique, ces livres étaient utilisés quotidiennement pour l’apprentissage de la lecture et de la morale. L’idéologie centrale était que faire le tour de son pays développait les comportements citoyens et l’amour pour la nation et le territoire.
Le style utilisé dans ces ouvrages, les aventures des personnages, faisaient rêver les enfants aux voyages et au dépaysement (Cabanel, 2007 : 143-146). Les écoliers se projetaient dans les aventures des personnages et s’identifiaient aux petits français partis découvrir leur pays à la recherche de leur oncle. En plus de leur valeur formative, ces livres de lecture courante répondaient « à cette aspiration qui sommeille dans toute imagination enfantine : voyager, être transporté dans un pays inconnu, un pays de rêve, où l’on garde du matin au soir une complète liberté, où l’on parcourt les forêts et les montagnes » (Dee Downs, 2009 : 197).
Dans la doctrine républicaine, faire un tour, c’était aussi partir découvrir une partie de son pays, de sa région. Pendant les cours d’histoire, de géographie ou de lecture courante, avec Le Tour de la France par deux enfants (Bruno, 1884), les enfants faisaient dans l’imaginaire la découverte de leur propre pays. Faire le tour de la région et du pays était donc une pratique facilitée par les acquis de l’école. L’introduction de l’instruction obligatoire et des activités physiques influencent les pratiques éducatives : les instituteurs saisissent l’occasion de faire des « tours » dans la région, dans le village à la découverte des endroits pour la promenade et pour réaliser les leçons de choses.
Sous cette impulsion, l’expression « faire le tour » est remplacée aisément par « faire du tourisme » ou l’anglais « tourisme » [3]. La découverte du pays à travers les leçons de choses devient ainsi du tourisme scolaire car impulsé et stimulé par l’idéologie de l’école républicaine.
À la fin du xviiie et au début du xixe, la pratique du tourisme avait été une invention élitiste (Boyer, 1990). Les enfants des familles aisées partaient ailleurs pendant les vacances. Au xixe siècle, l’émergence des « tours » change la perception du voyage. Le « tour » et le voyage ne sont plus réservés à une certaine élite mais deviennent le devoir de tout citoyen. Partir à la découverte de son pays équivaut à connaître et chérir sa patrie, le visiter devient donc un acte citoyen. À la même époque, pour les enfants des classes populaires, les pouvoirs procèdent à l’introduction progressive des voyages gratuits en colonies de vacances. Avec celles-ci, l’on introduisait un changement quant aux déplacements et aux pratiques sociales associées.
L’influence des hygiénistes dans le tourisme scolaire
Le rachitisme et la tuberculose avaient poussé les pouvoirs publics à prendre en charge les séjours à la campagne. Les enfants étaient triés en fonction de l’âge, de la maladie et des soins. Ils étaient envoyés dans des « établissements situés à la campagne où les enfants, enlevés au contact familial, vivaient dans les locaux bien compris, bénéficiaient de la cure en grand air, y prenaient des habitudes de propreté et d’hygiène et y recevaient, entre autres, l’instruction » (Jullien, 1923 : 92).
Ce mouvement a été généré sous l’influence des idées philosophiques de Rousseau et des socialistes. Le retour à la nature, prêché dans Émile ou de l’Éducation, a conquis les esprits (Launay, 2010 : 22). Dans la même lignée, le socialiste Paul Lafargue affirmait que le travail conduisait à « l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture [4] » (Lafargue, 1848 : 9). Pour lui, comme pour les hygiénistes, le mal venait de la forte industrialisation et de ses effets [5].
Pendant ces séjours, les jeunes étaient encadrés par du personnel médical et par des instituteurs. Leur objectif était de les préserver dans l’immédiat et de fonder une « protection active » de leur santé : apprendre les règles d’hygiène, une façon de vivre et de se nourrir. Habituer l’enfant à la vie dans la nature était la pensée émergente de cette période, et c’est là que se trouvait le véritable enjeu de ces établissements. Les idées médicales gagnent du terrain par leur scientificité. Les religieux avaient déjà pris en charge la santé des plus démunis ; désormais ils assument également l’éducation à la santé des jeunes. Ils organisent sur ce principe les premières colonies de vacances.
Avec le placement familial à la campagne, les colonies de vacances hygiénistes représentaient une modalité de préserver l’enfance des maladies véhiculées dans les villes. Les familles y envoyaient leurs enfants car elles réalisaient « en même temps que l’isolement, l’éducation, la surveillance du développement physique et mental, et la mise en œuvre de tous les moyens pour donner un maximum de résistance aux infections futures » (Jullien, 1923 : 92).
Le plus souvent, le séjour dans une colonie était de trois ou quatre semaines, car les enfants venaient pendant les vacances scolaires, le but étant de leur donner de bonnes habitudes de vie. Les objectifs médicaux étaient complétés par l’instruction scolaire et hygiéniste. Convaincus de l’aide que cet accueil peut apporter aux jeunes, les médecins voulaient l’introduire pour toute la population scolaire au moyen de l’instruction obligatoire. Selon eux, « à l’école, [la] jeunesse doit apprendre vraiment à vivre, c’est-à-dire développer harmonieusement ses facultés de relation – cerveau, muscles et sens – et de nutrition – tube digestif, cœur et poumons – en même temps que son être moral. Telle doit être l’éducation […] ; il n’y a pas une éducation physique et une éducation intellectuelle qui s’opposent l’une à l’autre, il y a une éducation tout court » (Jullien, 1923 : 95).
Cette éducation complète réclamée par les médecins passe par une éducation physique et hygiénique comprise comme une éducation des muscles, du corps en général, mais aussi par l’éducation à la vie quotidienne : « en faisant travailler ses élèves dans des classes claires, ensoleillées et bien aérées, et les faisant jouer dans les jardins spéciaux engazonnés, verdoyants, où les ombrages des arbres laisseront les espaces libres pour le soleil ». L’apprentissage des gestes hygiéniques quotidiens se fait en « imposant à tous l’usage de la brosse à dents, du savon et de la douche, qui deviendront pour eux un besoin impérieux, comme de boire et de manger, au lieu d’être une corvée et un luxe » (Jullien, 1923 : 96).
Les hygiénistes affirment que l’éducation qu’ils réclament doit commencer dès le berceau et continuer à l’école. Ils avaient observé que ces maladies étaient moins fréquentes à la campagne. On ignorait pourquoi, mais l’état des rachitiques et des tuberculeux s’améliorait avec le soleil et avec une alimentation variée. Par conséquent, les enfants suivaient des cures de soleil et d’air à la campagne. Les médecins ont misé sur les cures préventives, les colonies de vacances devaient continuer l’œuvre des préventoriums [6].
À l’époque, les colonies de vacances étaient gérées comme des sanatoriums ou des préventoriums, par conséquent les textes officiels spécifiques manquaient. Les personnels appartenaient au corps médical ou religieux. Comme pour les écoles primaires publiques, pour les tâches courantes, les villes et les villages avaient pris en charge l’intendance (Sociétés des Colonies de Vacances, 1910 : 17). Dans les premières colonies de vacances laïques, des instituteurs réalisaient les activités comme des cours d’école. Formés à l’école de la République, ils œuvraient à une éducation républicaine (Ozouf et Ozouf, 1992).
La demande des hygiénistes rencontre donc le terrain de l’éducation où école publique et école privée s’affrontent. Le débat était d’ordre idéologique. L’école publique, représentant la République, devait composer avec l’école privée, représentant les religieux qui avaient ouvert les premiers des colonies de vacances et qui avaient déjà investi le terrain (Dee Downs, 2009).
Fin xixe-début xxe, les préventoriums et les colonies de vacances se fixent un but commun : « envoyer au grand air les enfants chétifs vivant dans les maisons privées de soleil, et de sauver [la descendance] qui risque de s’étioler » (Sociétés des Colonies de Vacances, 1910 : 15). Les jeunes devaient partir à la campagne, à la montagne ou à la mer, en fonction des prescriptions des médecins scolaires. C’est le début du tourisme scolaire car des jeunes en nombre important sont sélectionnés, envoyés et encadrés par un personnel spécialisé dans des voyages ayant des objectifs précis.
La constitution du réseau des colonies de vacances et ses apports dans le développement du tourisme scolaire
En 1910, l’organisation de ces voyages était à la charge de « 700 associations qui ont envoyé en France, à la montagne, à la plaine ou à la mer […] près de 75 000 enfants » (Sociétés des Colonies de Vacances, 1910 : 16).
La prévention commençait à se réaliser en dehors des institutions sanitaires, dans les écoles et les colonies de vacances. Les élèves participant aux cours des écoles secondaires et supérieures recevaient une formation sanitaire et hygiénique. À la différence des préventoriums qui avaient comme rôle, d’une part l’isolement des enfants atteints de primo-infection et d’autre part l’application des soins médicaux nécessaires à la guérison, les colonies de vacances avaient comme rôle l’apprentissage d’une nouvelle hygiène de vie. Leurs actions visaient le renforcement de la santé des enfants et l’apprentissage des nouvelles façons de vivre, selon la pensée de l’époque. Pour cette raison, le premier but des colonies de vacances était de transmettre les idées de l’époque : favoriser une meilleure santé par l’apprentissage de l’hygiène et le retour à la nature pendant les périodes de vacances.
Pendant cette période, les méthodes d’apprentissage et de transmission se rapprochaient de celles utilisées à l’école ; le jeu y était marginal. Dans ses formes organisées, il était conçu comme une caractéristique de l’activité militaire [8]. En dehors, le jeu était conçu seulement comme une forme de divertissement et d’amusement. Malgré cela, sa valeur formative a été saisie par les organisateurs des colonies. Par exemple, dans le scoutisme, les enfants jouaient aux petits soldats et acquéraient de précieuses qualités de débrouillardise et de solidarité, le jeu remplissant son rôle premier, la préparation pour la vie.
L’imitation et l’exercice dénudé de toute contrainte pouvaient servir à l’éducation des jeunes pendant les vacances. Cette méthode était recommandée : les enfants devaient jouer en plein air afin d’être en bonne santé. Dans les premières colonies de vacances, comme dans les préventoriums, on demandait aux enfants d’utiliser pour leur éducation l’air, l’eau, le soleil, somme toute les éléments naturels. Cette approche se basait sur l’idée que la vie doit se dérouler en plein air, dans la nature. Les pédagogues saisissent la question du jeu et essaient de l’introduire dans leurs pratiques éducatives jusque dans les emplois du temps de leurs colonies.
Le poids des médecins dans l’organisation des colonies de vacances était important [9]. L’implication de trois ministres [10] dans le Congrès des colonies de vacances montre l’enjeu [11] que celles-ci représentaient pour la politique publique française de l’époque. Son but était de réunir les associations et les particuliers qui assuraient les activités dans les colonies de vacances et de faire le point sur les raisons, les besoins et les contraintes de ceux-là. À la fin du Rapport, la liste détaillée des organismes [12] et des personnes nous fournit des indications sur l’ampleur du sujet.
Face à l’industrialisation, la société affirmait le besoin de repos et d’une vie en plein air. Les inventions technologiques étaient conçues pour libérer l’homme du poids du travail physique ; les jeunes pratiquaient des activités physiques qui les maintenaient en bonne santé.
Le travail des champs était jugé bénéfique pour la santé. Par contre, le travail dans les ateliers et dans les usines était considéré comme nuisible, car manquant d’air et de lumière. En conséquence, pour les enfants, les premiers placements dans les colonies étaient réalisés à la campagne chez des agriculteurs. Ils étaient « placés dans des foyers paysans, […] nourris comme eux [et] mêlés à leurs travaux » (Dee Downs, 2009 : 33).
Les bienfaits se situaient à plusieurs niveaux. D’abord, dans ce type de colonie, les enfants avaient un rythme de vie plus naturel, plus souple qu’à l’école, laquelle imposait un programme strict.
Nous avons analysé divers aspects des colonies de vacances afin de comprendre quel était l’enjeu réel de ces institutions. Nous avons choisi des emplois du temps de 1905 et de 1931 afin de voir l’évolution des activités dans deux colonies de vacances : une laïque et une autre catholique. Notre but est de comprendre quelles étaient les activités dans ces colonies et les méthodes pédagogiques utilisées. À l’époque, il y avait peu de colonies qui organisaient leur activité avec des emplois du temps (Houssaye, 1990).
Au départ, les fiches médicales sont utilisées pour envoyer les enfants dans les premières colonies de vacances. Elles organisaient l’activité autour de la prophylaxie et de l’éducation à l’hygiène. Les médecins faisaient le tri des enfants et envoyaient les jeunes au bord de la mer, à la campagne ou à la montagne en fonction de la conformation de l’enfant et des antécédents médicaux personnels et familiaux. Suite à ces prescriptions, la colonie de vacances devenait un lieu de séjour pour une cure de santé, assurée aux enfants issus des couches sociales pauvres. Autrement, ils n’avaient pas l’occasion de passer des vacances ailleurs. Les contenus éducatifs dans ces colonies comprennent des leçons de choses, « l’éducation de la jeune ménagère » avec les premières notions sur les bactéries et les bacilles, la « chasse à l’alcool et aux maladies infectieuses » (Jullien, 1923 : 106).
En 1905, les colonies sont déjà bien implantées. Au premier abord, ces emplois du temps sont quasi-identiques, à l’exception de la messe, de la prière et du chapelet. Si nous comptons le temps attribué à chaque activité, nous observons quelques écarts entre les activités proposées dans les deux centres. Dans le premier, les enfants devaient suivre chaque jour quatre heures et demie d’instruction religieuse (cours d’enseignement, messe, prière du matin et du soir). Ces activités duraient deux fois plus que celles d’une colonie laïque. Dans cette dernière, deux heures étaient préservées pour le travail scolaire (cours d’enseignement, correspondance et journal). Nous considérons ce temps comme un temps d’apprentissage doctrinaire, donc équivalent sur le plan de la formation. En revanche, le temps accordé à l’hygiène personnelle et à l’hygiène de la chambre est sensiblement le même. Il représente approximativement trois heures et demie, dont une heure trente pour l’hygiène personnelle et entre deux heures et deux heures et demie pour le nettoyage des dortoirs et l’aide pour la préparation des repas.
La différence majeure entre les deux colonies est le temps accordé aux repas, à la récréation et au travail manuel. Dans la colonie catholique, l’ensemble des repas d’une journée dure une heure et quinze minutes, un peu plus d’un tiers dans la colonie laïque où ils occupent trois heures trente. Pour le repas du midi [13], le temps accordé (quinze minutes) dans la colonie catholique représente un huitième par rapport au temps accordé dans la colonie laïque (deux heures). Nous remarquons également que le quart d’heure accordé au repas de midi est suivi par une récréation qui pouvait être utilisée pour finir le repas.
L’importance du jeu et de la récréation dans une colonie catholique était inversement proportionnelle à l’âge de l’enfant. Dans d’autres moments de la journée, la récréation est groupée avec le temps du travail manuel [14]. Cela visait l’organisation des activités communes aux grands et petits, la fourchette d’âges étant de 6 à 13 ans [15]. Pour la récréation [16], nous comptons une heure quarante cinq minutes pour la colonie catholique et une heure pour la colonie laïque. Le temps accordé à la promenade est sensiblement égal [17]. Les jeunes de la colonie laïque ont dans leur emploi du temps deux heures de travail manuel dans l’après-midi. Pour la colonie catholique, ce temps se confond avec le temps pour le travail d’entretien et de nettoyage.
Les méthodes pédagogiques dans les colonies
Pour le travail scolaire dans la colonie laïque, le programme compte la réalisation du journal, de la correspondance, activités apparentées à la composition en français. Par exemple, la lettre aux parents ou la carte postale aux amis montraient l’utilité immédiate de la composition. La colonie laïque prolonge donc l’activité de l’école, car la réalisation du journal et la rédaction de la correspondance peuvent « être l’occasion d’exercices scolaires plus systématiques » (Houssaye, 1990 : 131).
Dans les colonies catholiques, le même travail scolaire était utilisé pour l’apprentissage des préceptes religieux. L’intitulé du cours l’indique bien (« messe et instruction ») et dure approximativement une heure trente par jour.
Les activités en pleine nature occupent la même place dans les deux types des colonies. Ce temps était utilisé pour des leçons de choses – apprentissage en pleine nature, lors des promenades, avec des exemples concrets sous les yeux.
Les chansons apprises dans les colonies laïques visaient l’intégration et l’apprentissage des valeurs républicaines. Les jeunes devenaient des citoyens de la République et leur sentiment d’appartenance nationale était renforcé par la découverte des richesses du pays.
Le « poids idéologique » auquel Jean Houssaye (1977) fait allusion est très important dans les deux colonies. Les laïques et les religieux ont saisi ce temps de vacances afin de réaliser des vrais cours idéologiques. En 1905, les colonies de vacances ont deux buts principaux : le premier, prévu par les hygiénistes, commun à toutes les colonies, est complété par le but idéologique spécifique à chaque type d’organisation.
L’introduction des exercices physiques et la découverte de la nature
Avec le temps, le but premier des colonies, « vacances en plein air », commence à réapparaître. Dans deux emplois du temps datant du 1931 (Houssaye, 1990 : 131), nous remarquons l’apparition des activités au choix. Les enfants ont la possibilité de choisir, selon l’intérêt du moment, l’activité qui leur plaît le plus.
En regardant la distribution horaire des activités des deux colonies de vacances, catholique et laïque, nous observons l’introduction des activités physiques, telle la gymnastique, et des rythmes spécifiques à chaque enfant. Dans cette recherche, nous nous sommes concentrés sur l’importance de l’introduction des activités physiques ; les rythmes spécifiques ayant été étudiés par Jean Houssaye (1990).
L’analyse des deux emplois du temps révèle que le temps était utilisé différemment en fonction des objectifs de la colonie. Dans la colonie laïque, sorties, promenades, baignades et gymnastique occupent huit heures et demie chaque jour, tandis que dans une colonie catholique les mêmes activités occupent cinq heures et demie, soit trois heures de moins. De même, pour l’hygiène personnelle et celle du camp, le temps est réduit de moitié [18]. À la différence des emplois du temps de 1905, nous remarquons la même importance accordée aux repas [19]. Nous notons que le temps accordé aux repas semble plus proche de la réalité dans l’emploi du temps de 1931 que dans celui de 1905.
Par contre des différences notables sont à souligner pour les activités suivantes : travail, travail manuel et récréation. Les appellations travail et travail manuel ont disparu de l’emploi du temps de 1931. Dans les deux colonies on préfère les appellations plus proches de l’activité effectivement réalisée : « hygiène du camp », « ménage », « aération », « lits » ou bien « corvées ».
Une autre spécificité des emplois du temps de 1931 est la disparition de l’activité appelée en 1905 « récréation ». Ce changement est dû à la perception des activités elles-mêmes. Tout d’abord, les enfants ne faisaient plus du « travail » donc ils n’avaient plus besoin de « récréation ». Le temps des vacances en colonies était dédié entièrement à des activités de récréation, avec quelques moments pour d’autres activités comme l’hygiène, le ménage. Avec ce changement, le but de la colonie est le repos et le loisir. Cette interprétation est aussi soutenue par le poids croissant [20] des activités en plein air, dont une nouvelle, l’activité physique, appelée plus communément « gymnastique [21] ». Les activités physiques commencent à être proposées aux enfants, car recommandées « par l’organisation nationale des centres laïcs » (Houssaye, 1990 : 131). À l’époque, leur importance est grandissante, la pratique sportive étant introduite comme activité obligatoire [22].
En introduisant ces activités physiques dans l’emploi du temps des colonies, leur but change petit à petit. Si les colonies étaient une sorte de prolongement de l’école publique, laïque ou catholique, l’introduction de l’activité physique est une révolution car elle apporte un changement dans les pratiques et la création d’un besoin croissant en personnel spécialisé.
Auparavant, les activités de plein air étaient assimilées à la récréation, sans avoir besoin d’une organisation préalable. Les enfants jouaient entre eux comme dans une cour de récréation à l’école. Dans les locaux clos se déroulaient les activités de lecture et de composition ; en pleine nature le chant, la promenade, la gymnastique et les leçons de choses. Les activités étaient donc assurées dans des lieux spécifiques qui déterminaient le type de méthode. Malgré cela elles n’étaient pas différentes des méthodes utilisées par un instituteur dans sa salle de classe.
Avec l’introduction de l’éducation physique dans l’emploi du temps, assurer trois heures de ce type d’activité chaque jour supposait l’usage et la maîtrise de méthodes d’animation appropriées. L’ennui pouvait s’installer très vite dans des activités monotones, par conséquent dans la pratique éducative l’on introduisit des jeux en dehors des temps d’étude. Les jeux débordent le temps libre, le temps d’attente des activités et devient lui-même une activité à part entière : grands jeux, jeux de cour, jeux d’intérieur. À ce moment, la surveillance du jeu est complétée par l’organisation et « dans les années 1930, on va lui reconnaître sa valeur pédagogique remarquable » (Houssaye, 1990 : 132).
La colonie de vacances semblait trouver son identité, détachée presque entièrement de l’école. Le jeu, l’activité physique, la découverte des nouveaux passages, le choix des activités laissées à l’initiative de l’enfant, font que la colonie de vacances est l’endroit idéal pour la détente active.
Le rapport à la nature change avec ces nouveaux emplois du temps. La colonie de vacances se distancie de l’image du sanatorium et du préventorium du xixe siècle. Les actions éducatives se passent désormais en dehors des murs de la colonie, le camp devenant le pied-à-terre nécessaire à l’organisation des sorties. On y dort, on y mange, on s’y prépare pour la sortie. Un tiers du temps, l’enfant est sorti : il découvre les lieux culturels, le paysage, la mer et la montagne.
Avec l’éradication des maladies, au début du xxe, les colonies de vacances devenaient le vecteur principal du tourisme scolaire. Le but moral et patriotique des excursions, des découvertes faites dans les colonies, imprimait à ce tourisme des spécificités. Avec la sélection des enfants selon l’âge, le sexe, la religion et la fréquentation de l’école publique ou privée, elles étaient un vecteur idéologique (Houssaye, 1977), constituant une parenthèse dans l’activité courante de l’enfant, mais prolongeant la période d’apprentissage d’une idéologie : républicaine et laïque ou religieuse.
Le voyage dans le tourisme scolaire
Au début du xxe siècle, l’école saisissait cette période où l’enfant quittait la maison familiale pour vivre et apprendre avec ses pairs. Dans la plus pure tradition scolaire, les milieux choisis pour accueillir des jeunes en colonies de vacances sont remplis d’endroits où l’on peut découvrir et aimer son pays ; des endroits où l’on peut faire des leçons de choses ou de morale. Les témoignages (Dee Downs, 2009) indiquent que le choix de partir en colonie de vacances était parfois soumis à l’obtention des bons résultats scolaires. La sélection des jeunes se fait en fonction de l’âge, du niveau scolaire et de la durée. Les parents sont appelés à contribuer financièrement à ces vacances en colonies.
Avec l’introduction de cette participation financière, une sélection économique et sociale s’effectue. Les colonies étaient choisies par les parents en fonction de l’âge de l’enfant, de l’encadrement dans la colonie, de la durée, de la destination et du but des activités. Partir en colonie, c’était partir faire un tour ou bien faire du tourisme. Cette situation conférait à la colonie de vacances, donc au tourisme scolaire, un rôle de reproduction sociale.
Loin du cocon familial, l’enfant pouvait jouir d’une certaine liberté. Il découvrait la vie telle quelle ainsi que la nature et son pays. Avec ses règles souples, la colonie est l’endroit où la personnalité de l’enfant pouvait s’exprimer, choisir son activité, son rythme de vie.
Dans l’emploi du temps, nous remarquons l’assouplissement des pratiques pédagogiques en faveur de l’apprentissage de l’indépendance. Sous l’influence de la psychopédagogie, les caractéristiques individuelles commençaient à être prises en compte. Par exemple le lever, la toilette et le petit déjeuner sont échelonnés (Houssaye, 1990 : 134). La sieste, les activités elles-mêmes sont librement choisies. Les enfants participent également aux activités qui les intéressent le plus et, dans certaines colonies, ils prennent même part à la décision de la vie commune.
Cette liberté saisie dans les emplois du temps est fondatrice pour le choix des méthodes pédagogiques. Loin d’être contraint, l’enfant participe activement au programme et peut en tirer le meilleur parti. Du point de vue éducatif, les apprentissages les plus importants dans les colonies sont l’autonomie (gérer l’équipement, le temps, l’éloignement de sa famille), la vie dans la collectivité (apprentissage de règles de vie commune), l’adaptation à un nouvel environnement et l’acquisition de nouvelles connaissances pratiques.
Dans ce type d’organisation des vacances, tout le monde trouvait son compte. Les parents pouvaient envoyer leur-s enfant-s pour un séjour de deux ou trois semaines en colonie. Les enfants pouvaient rompre avec le milieu familial tout en étant encadrés par du personnel éducatif. Les organisateurs, laïques ou catholiques, pouvaient continuer à transmettre leurs valeurs et leur idéologie. L’école tirait profit des enseignements des colonies par les leçons de choses et la découverte d’une nouvelle région. L’enseignement scolaire trouvait ainsi son point d’appui dans la réalité.
Même si, actuellement, on parle plus souvent des voyages scolaires que des colonies, ce type d’organisation a influencé la perception de la nature, marquant durablement l’éducation en général. L’un des plus connus à œuvrer en ce sens est le médecin Max Forestier qui a introduit des classes expérimentales « de neige », « de forêt » et « de nature » [23] dans les écoles. Le succès de son enseignement a encouragé l’utilisation de plus en plus large de cette pratique dans l’éducation, entérinée définitivement en 1969.
Les politiques scolaires successives ont réglementé au sein de l’éducation obligatoire le volet « éducation pour la nature ». Ce type d’éducation est assuré par les institutions scolaires à travers les « classes de nature », mais aussi par des institutions périscolaires à travers des séjours [24] organisés dans des colonies de vacances ou dans d’autres type d’établissements d’accueil pour les jeunes [25]. Ainsi, le toursime scolaire a pu se développer plus amplement car, étant obligatoire, presque tous les enfants partent, soit pendant l’année scolaire, soit pendant les vacances.