30 ans des sciences du jeu, “Le jeu : un processus entre métaphore et autoréférentialité”

La position philosophique de Jacques Henriot vis-à-vis du jeu a reconduit et poursuivi avec brio la tradition des études ludiques précédemment incarnée par les deux pères fondateurs, Roger Caillois et Johan Huizinga. Ses apports fondamentaux ont nourri nombre de démarches de recherche contemporaines concernant les jeux vidéo, notamment celles de Genvo et d’Amato, toutes deux ancrées en Sciences de l’Information et de la Communication. Toutefois, en raison de la singularité des objets logiciels analysés, certaines de ses conceptions méritent d’être revisitées, notamment l’insistance de l’auteur sur le caractère métaphorique du jeu. En effet, si l’analogie par rapport à des situations préexistantes permet d’établir une thématique ou une problématique de jeu, ce que vérifient aisément les propositions de jeux sérieux, la puissance du phénomène ludique réside aussi dans sa capacité à instituer un micromonde jouable uniquement sur la base de quelques axiomes et règles qui se suffisent à eux-mêmes. Se trouve ainsi déjoué le présupposé tenace qui revient au fil de l’œuvre d’Henriot, celui de la métaphore comme ressort ludique principal, qui oblitère une bonne prise en compte de la consistance intrinsèque du processus ludique.
Cet aspect sera débattu à partir d’une définition info-communicationnelle du jeu, qu’il soit ou non technologique. Il s’agira simultanément de reconnaître que l’expansion généralisée du phénomène ludique, bien identifiée par Jacques Henriot, s’est réalisée aussi contre la vision de Caillois. Celui-ci avait emprisonné le jeu dans une opposition stérile avec le travail, que les héritiers intellectuels d’Henriot, tels Gilles Brougère, ont parfaitement invalidée et dépassée. Nous conclurons l’intervention sur le fait que le devenir technologique du jeu rend manifeste et visible des propriétés précédemment difficiles à cerner, tant de façon pragmatique que spéculative. En l’occurrence, le rapport aux machines à jouer, qui furent successivement mécaniques, électriques, puis électroniques et maintenant informatiques, pourrait bien dévoiler que la jouabilité d’un dispositif formalisé dépend certes de l’intentionnalité de celui qui s’y livre, mais aussi des structures logiques qu’elle déploie, ce que vérifie le domaine de l’intelligence artificielle et des automates et agents ludiques.