Les maisons d’assistantes maternelles :
des pratiques professionnelles hybrides
entre accueils individuel et collectif

Pascale Garnier, Catherine Bouve et Martine Janner Raimondi
Dossier d’étude, CNAF

Dossier d’étude – publication de la CNAF

N° 227

Synthèse

Les maisons d’assistantes maternelles (Mam), créées par la loi du 9 juin 2010, « constituent un nouveau mode d’accueil et une nouvelle modalité d’exercice de la profession d’assistante maternelle, dans un lieu autre que le domicile de ces professionnelles » (HCFEA, 2018). Les Mam, dont le nombre est passé de 1600 en 2015 à environ 3 500 en 2019 (Onape, 2021), avec de fortes disparités départementales, sont encore peu étudiées. Cette étude commanditée et pilotée par la Direction des statistiques, des études et de la recherche (DSER) de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et réalisée par une équipe de chercheuses du laboratoire Experice (voir l’encadré page suivante), permet, pour la première fois, de rendre compte des pratiques des professionnelles à partir d’observations en leur sein.

Au moment de l’enquête, les Mam pouvaient regrouper au maximum quatre assistantes maternelles, chacune d’entre elles accueillant plusieurs enfants (quatre maximum) sur la base d’une relation contractuelle avec leurs parents. En cela, les Mam reposent sur le même principe que l’accueil dit individuel au domicile d’une assistante maternelle. Dans le même temps, l’accueil en Mam emprunte aussi certaines des dimensions d’un accueil dit « collectif » étant donné le nombre d’enfants et de professionnelles réunis au sein d’une même « maison ». Comment les assistantes maternelles conjuguent-elles cette double référence ? Comment la dimension contractuelle, individualisante, peut-elle se combiner à une organisation collective d’un cadre de travail partagé ?

Les Mam, des « maisons » dédiées à des jeunes enfants

Le fait que les assistantes maternelles appréhendent les Mam comme des « maisons » ainsi que l’aménagement de ces locaux révèle une proximité avec la sphère familiale, sans toutefois s’y confondre. C’est également une « maison » entièrement dédiée aux jeunes enfants dont le cadre est spécialement pensé pour eux. Les assistantes maternelles investissent tout particulièrement ces lieux en les aménageant à leur goût, souvent avec l’aide de leur entourage, et ce en tenant compte des moyens à leur disposition (caractéristiques du local, moyens financiers, matériel récupéré, etc.) et du cadre institutionnel local (département, Caf et commune).

Avec leurs dimensions hybrides de maison « familiale » centrée sur et pour les enfants, les Mam sont intégrées sur leurs territoires respectifs, qu’il soit rural ou urbain. Les assistantes maternelles organisent en effet souvent des sorties en mobilisant les différentes ressources de leur environnement proche (présence autour de la Mam d’espaces verts équipés de jeux, de commerces, d’un marché, voire d’une ferme pédagogique, d’une ludothèque ou encore d’espaces naturels). Cet investissement de l’espace local participe en retour d’une plus grande visibilité de la Mam.

Trajectoires professionnelles et de reconnaissance

Le contexte de création des Mam semble être lié aux parcours qui ont conduit les assistantes maternelles à y travailler. Dans le département urbain observé, pour celles pour lesquelles l’exercice en Mam s’inscrit dans un parcours d’insertion professionnelle, en particulier pour des femmes au foyer ou avec des emplois précaires, le plus souvent en lien avec des trajectoires migratoires, la création de la Mam a généralement été soutenue localement. Pour les autres, à savoir celles qui sont en situation de reconversion professionnelle (ayant exercé d’autres métiers auparavant, souvent auprès d’enfants) ou d’évolution professionnelle (anciennes assistantes maternelles à domicile), ce sont elles qui sont à l’initiative de la création de leur Mam.

En lien avec leur trajectoire sociale et familiale, travailler en Mam relève également d’enjeux de reconnaissance fortement repérés par les assistantes maternelles : un lieu extérieur à leur domicile rendant visible le travail appréhendé comme une profession, digne de respect, notamment du point de vue des parents. S’observent aussi des stratégies de la part des professionnelles qui visent à rendre visible leur travail et à le légitimer aux yeux des familles : en particulier, leur travail éducatif et pédagogique est bien mis en valeur par l’envoi de nombreuses photographies par SMS aux parents, de productions de cahiers ou d’autres supports écrits ou non. Par ailleurs, les assistantes maternelles rencontrées ont, pour la plupart, une appétence à se former et un souci de renouveler leurs propositions d’activités aux enfants, aspects qui participent de leur professionnalisation et de leur reconnaissance en tant que professionnelles de la petite enfance.

Organisation des Mam : de l’individualisation par un système de « référentes » au fonctionnement collectif des équipes

Les six Mam observées partagent des points communs : l’absence de regroupement des enfants selon leur âge, comme c’est souvent le cas en crèche, et un large usage de la délégation d’accueil entre les assistantes maternelles. Une diversité des modes d’organisation oscillant entre individuel et collectif y a cependant été constatée.

Quatre des six Mam fonctionnent sur la base d’un collectif d’enfants fondé sur un système de « référence » proche de celui de la crèche. Chaque professionnelle s’occupe, sauf exception, des enfants des parents dont elle est la salariée sur des moments clés de la journée : l’accueil et le départ de la Mam, en lien avec les parents, les changes, les repas, les siestes. Pour tous les autres moments de la journée, les enfants ne restent pas centrés sur « leur » assistante maternelle référente et les professionnelles interagissent avec tous. À l’inverse, deux autres Mam fonctionnent sur le principe de « tout le monde s’occupe de tout le monde » : l’ensemble des enfants est partagé entre les assistantes maternelles en combinant mise en place d’un rythme collectif et personnalisation selon les enfants. Dans ces Mam, les professionnelles ne souhaitent pas privilégier des relations aux enfants et aux parents selon leurs contrats (« on met son enfant en Mam, pas chez une assistante maternelle ») et les contrats entre assistantes maternelles et parents sont perçus comme ayant un caractère avant tout administratif.

Dans les Mam observées, différents moments de jeux libres avec des objets à disposition permanente des enfants, d’exploration avec des matériaux ou matériels spécifiques (pour la motricité par exemple) ou d’activités variées (pâtisserie, dessin, peinture, sable, fabrication d’objets, etc.) sont proposés aux enfants, jamais imposé s. Parfois, ces temps collectifs sont ritualisés et mobilisent tous les enfants de la Mam, comme un temps de lecture ou de comptines. Plus souvent, ils concernent des petits groupes fluctuants.

Cette organisation selon les contrats (ou non) laisse ouverte différentes formes de répartition du travail en dehors de celui avec les enfants, pour le ménage notamment. Dans quatre Mam, ce travail fait l’objet d’une répartition préalable de l’ensemble des tâches et de roulements systématiques entre professionnelles. Dans deux de ces Mam, les assistantes maternelles ont élaboré une organisation très précise par roulement autour de tâches. Les repas y sont préparés par les professionnelles. À la différence de ces quatre Mam, ce travail est réalisé dans les deux autres au fil des disponibilités de chaque professionnelle. L’entraide entre assistantes maternelles est alors censée compenser l’absence d’une planification de leur fonctionnement collectif, ce qui n’est pas sans parfois créer des tensions entre elles. Cela est particulièrement sensible si les charges de travail des assistantes maternelles (nombre ou encore volume horaire des différents enfants pris en charge par chacune, absences impromptues de professionnelles, etc.) ne sont pas équivalentes.

Une autre modalité de répartition du travail a également été observée, davantage basée sur les différents goûts et compétences que les assistantes maternelles se reconnaissent entre elles, y compris dans le domaine pédagogique. Les professionnelles développent ainsi des compétences élargies allant du travail en collectif à une différenciation des tâches : comptabilité, gestion, logistique, cuisine, animation, communication, proposition pédagogique, etc.

Un accueil « semi-collectif » plébiscité par les parents, soutenu de façon variable par les acteurs locaux

Aux yeux des parents, les Mam constituent un « semi-collectif », permettant de combiner des avantages des accueils individuel et collectif, sans leurs inconvénients respectifs. La Mam permet à leur enfant de s’ouvrir aux autres, aux différences et d’accepter de vivre dans un collectif de petite taille qui n’est pas trop contraignant, tout en bénéficiant d’un accueil individualisé et affectueux, comme familial, qui les sécurise quant à la prise en compte de leur enfant. Les propos de parents soulignent le bénéfice de la fréquentation de la Mam pour leur enfant notamment en lien avec leur préoccupation d’une socialisation favorisant un mélange des âges et, à terme, l’entrée à l’école maternelle. Si la connaissance de l’existence des Mam reste encore confidentielle, les parents qui les fréquentent demandent à la Mam d’accueillir ensuite toute la fratrie. Aussi n’y a-t-il pas de Mam (parmi celles étudiées) qui n’ait sa « liste d’attente » de parents en demande, ce qui leur permet de favoriser des contrats à temps plein pour toutes les assistantes maternelles.

Du point de vue des acteurs locaux, les Mam répondent à une forte demande des familles et contribuent à augmenter l’offre d’accueil des jeunes enfants sur leur territoire et à la diversifier. Les positionnements de ces acteurs sont variés : depuis l’absence de soutien direct jusqu’à l’intégration de la création et l’accompagnement des Mam dans une politique municipale d’accueil pour la petite enfance, en passant le plus souvent par différentes formes d’appui et d’intégration de la Mam dans une offre locale pour les familles (achat, rénovation, location des locaux, ingénierie du projet, liens avec le Relais assistantes maternelles [Ram], etc.). Le dispositif Ma m générant de nouvelles configurations d’accueil (intervention des communes, en cas de conflits au sein des équipes d’assistantes maternelles, enjeu autour des locaux, etc.), c’est au sein des équipes de PMI, en charge de l’agrément aux professionnelles, du contrôle des conditions d’accueil et également du soutien de ces professionnelles, que cette innovation est perçue de manière plus ou moins favorable et qu’il reçoit un appui variable selon les contextes.

Tensions et conflictualité au sein du collectif d’assistantes maternelles

À plusieurs reprises, des situations conflictuelles ou des tensions (passées ou présentes) entre assistantes maternelles ont été observées ou mentionnées en entretien. Elles sont le fruit de la rencontre entre différentes manières d’être et de faire, plus ou moins compatibles, avec les enfants, ou de la perception d’investissements personnels inégaux qui remet en cause l’entraide entre professionnelles dans un contexte où il faut se gouverner à la fois ensemble et soi-même, à égalité entre assistantes maternelles, sans « chef », ni « direction ».

Dans un contexte où les professionnelles cultivent l’image d’une Mam comme « cocon », tout conflit peut être perçu par elles comme le signe de l’échec de la Mam. Pourtant, ces tensions et conflits sont aussi des apprentissages pour les assistantes maternelles et des occasions pour instituer des règles de travail en Mam, vis-à-vis des enfants, des parents et d’elles-mêmes, tout en permettant l’expression de différents styles professionnels individuels. Dans les Mam dans lesquelles des temps de dialogue entre assistantes maternelles ont été mis en place pour comprendre ce qui pose problème en cherchant ensemble des solutions, ces situations conflictuelles ont renforcé le collectif de travail. Dans celles où le conflit n’a pas pu être surmonté par l’équipe, des départs d’assistantes maternelles ont eu lieu, sans pour autant conduire à la fermeture de la Mam elle-même. De fait, il est très rare que les tensions, voire les conflits interpersonnels, mettent à mal l’existence et le fonctionnement même de la Mam.

L’enjeu majeur de l’accompagnement institutionnel des Mam dans leur organisation et la résolution de conflits

Les Mam étudiées se retrouvent dans l’idée d’un « vivre ensemble » sur un modèle familial, partageant une même « maison », lieu d’une identité collective, tout en étant un lieu institutionnalisé de la petite enfance, à vocation professionnelle. Malgré ces points communs, les Mam sont chacune singulières. Cela tient à de multiples facteurs tels que les parcours individuels, les relations interpersonnelles, le nombre et l’ancienneté des assistantes maternelles ou encore les conditions locales d’accompagnement des Mam.

Au cœur de la pérennisation de ces collectifs de professionnelles nouvellement créés sans relation hiérarchique entre elles, la question de l’organisation du travail et de la gestion d’éventuels conflits et tensions est centrale. Dans un tel contexte, l’accompagnement institutionnel des Mam pourrait s’envisager, par exemple, par la mise en place d’analyse des pratiques animée par des tiers, en vue de construire un collectif de travail basé sur des situations concrètes où se nouent des relations tout à la fois interpersonnelles et professionnelles.

Bibliographie

HCFEA, 2018, L’accueil des jeunes enfants de moins de trois ans. Tome 1 : État des lieux. Tome 2 : Orientations. Paris, Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.

Onape, 2021, L’accueil du jeune enfant en 2020, Paris, Observatoire national de la petite enfance.

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