PLAN
Les observations et analyses présentées ici participent de la recherche collective menée dans le cadre du partenariat avec la Ligue de l’enseignement sur les Villages vacances. Elles visent à éclairer la dimension éducative de cette offre de vacances faites aux familles dans ces centres qui les accueillent pour des séjours d’une ou plusieurs semaines, sous une forme locative simple ou en (demi) pension, dans des sites variés qui offrent une ou plusieurs possibilités de loisir (mer, montagne, nature, patrimoine, etc.) ainsi que des activités facultatives de tous ordres (randonnées, visites, sports, spectacles, activités artistiques et/ou manuelles, etc.).
Comme pour l’ensemble de la recherche, les interrogations visent à croiser les aspects de la réalité qui sont liés à l’inscription de l’offre dans le tourisme social et les questions d’éducation et d’apprentissage entendues de manière large. Mais pour cette partie, l’entrée dans les questionnements se fait plus spécifiquement par la famille, conduisant ainsi à décaler sensiblement les analyses par rapport à d’autres recherches dans le domaine des mouvements d’éducation populaire ou du tourisme (Ceriani, Knafou et Stock, 2004) ou encore au croisement des deux (Greffier, 2006). Cependant, il ne s’agit pas de questionner l’ensemble des visées et des propositions éducatives des villages vacances en direction des familles, mais plus précisément celles qui pourraient porter sur l’éducation familiale. On cherche ici à analyser comment ces accueils apportent aux familles non pas des connaissances ou des savoirs sur le monde, mais comment ils participent à développer les dynamiques éducatives au sein même du groupe famille. On rejoint ainsi le champ de recherche sur ce thème développé autour de Durning (2006). Mais l’entrée épistémologique est là encore sensiblement décalée. Il ne s’agit pas de penser l’éducation familiale en termes d’interventions sociales qui visent à aider, voire suppléer, les parents et leur défaillance et qui conduit souvent de fait à penser en termes d’« éducation parentale ». On conçoit ici la question de façon plus large qu’en la considérant comme un soutien aux familles en difficulté dans la construction de la posture parentale, en l’abordant à partir des apprentissages informels. Cette approche conduit à considérer que l’éducation familiale se dissout dans tous les actes de la vie courante, et donc aussi en situation de vacances (Brougère et Ulmann, 2009) et pour tous, et non uniquement pour des publics en difficulté (Gayet, 2006). On cherche à saisir ce qui, au sein de la famille et plus précisément concernant les interactions entre parents et enfants, s’apprend sans apprendre, ce qui se construit dans le quotidien, dans la routine, c’est-à-dire dans les situations habituelles et anodines, et non lors de ces situations-problèmes qui sont souvent étudiées en matière d’éducation familiale en considérant qu’elles appellent réparation.
La question est donc ici de comprendre en quoi la situation et le contexte que construit le village vacances participe de cette éducation familiale en questionnant d’une part l’offre, c’est-à-dire le projet et sa mise en œuvre, et d’autre part sa réception par les familles au travers de leurs pratiques et de leur inscription dans cette dimension éducative. Les analyses s’appuient sur les quelques documents écrits de l’organisme, mais surtout sur les observations participantes réalisées durant une semaine dans neuf villages vacances. Si la participation aux vacances peut faire sourire, de fait l’observation se révèle être plus complexe qu’il n’y paraît, en particulier du fait de la difficulté à entrer dans la vie quotidienne et donc plus ou moins intime des familles. S’ajoute la difficulté, qui n’est pas propre au terrain cette fois, à trouver les moyens de saisir des apprentissages qui ne se présentent pas comme tels.
Questionner l’offre conduit de fait à se poser en préalable la question de la place faite ou donnée à la famille par l’organisme dans les modalités d’accueil, c’est-à-dire dans les fonctionnements du village vacances globalement et dans les propositions d’activités en particulier.
Des vacances en famille, mais aussi individuelles
L’« esprit de famille » apparaît très clairement dans la brochure de présentation [1] comme une des trois orientations qui guident le projet des villages vacances, à côté de « l’accueil » et de « la détente ». Les slogans et commentaires précisent : le « village pense à toute la famille » avec des « animations et des activités pour tous », « activités pour les parents et les enfants, sans oublier les grands-parents ». C’est bien toute la famille qui est ainsi prise en considération. Mais est aussi pointée d’emblée une distinction essentielle entre les différents membres de la famille qui renvoie au statut des uns et des autres. Cette distinction des publics en fonction de leur statut générationnel se traduit assez rapidement par une différenciation des propositions pour les uns et les autres. On trouve dans les pages suivantes des intentions spécifiques pour deux publics particuliers. D’une part, le « village pense aux mamans » en leur proposant de se laisser « tenter par la pension complète » « pour permettre aux mamans et à toute la famille de vivre un séjour 100 % vacances ». D’autre part, le « village pense aux enfants » en proposant que « petits et plus grands [soient] pris en charge par des équipes qualifiées » dans des clubs organisés par tranches d’âges.
L’offre fait ainsi apparaître clairement une organisation qui sépare parents et enfants dans des activités distinctes qui leur sont plus directement destinées car « à chaque âge, ses loisirs ». On peut souligner qu’en affirmant qu’il s’agit « pour parents et enfants [de] vivre leur séjour en toute tranquillité », l’argumentaire suggère que cette séparation est un élément qui permet de constituer ces temps comme des vacances pour chacun. Mais, la présentation des clubs pour les enfants révèle une certaine ambiguïté dans les intentions. Annoncés comme « un espace de liberté, de jeux et de détente » pour les enfants, ils n’en sont pas moins présentés comme un ensemble de prestations (en nombre de journées par semaine, en disponibilité de locaux, en personnels encadrant) et comme autant d’offres de « prise en charge » qui visent à libérer un espace de vacances et de détente pour les parents à leur tour.
L’organisation des séjours telle qu’elle est présentée dans la brochure rejoint ainsi l’ambivalence du « projet éducatif vacances loisir » qui vise à offrir des vacances à chacun tout en cherchant à maintenir le projet du « vivre ensemble ». L’intention ou l’ambition est de faire cohabiter du collectif pour « vivre un séjour en commun » et « partager du temps », et de l’individuel, qui permet à chacun de « trouver des propositions adaptées à [ses] souhaits et à [ses] besoins ». Mais, l’observation et l’analyse des réalités de terrain montrent toute la difficulté à construire une telle offre dès lors qu’on cherche à s’adresser à des familles qui se composent d’adultes et d’enfants.
Dans le concret des accueils, même si on perçoit l’ambition d’une complémentarité, les propositions montrent toujours une distinction entre l’offre destinée aux enfants et celle qui est adressée aux parents. Si dans certains villages, les accueils spécifiques aux enfants restent assez ponctuels, supposant ainsi davantage de temps ou d’activités communs, dans nombre d’entre eux des activités en parallèle sont systématiquement organisées pour les deux publics, avec des horaires strictement calés les uns sur les autres, jusqu’à prévoir le quart d’heure de battement qui permet aux parents de « déposer leurs enfants ». De plus, si certaines activités sont envisagées sur un contenu et dans une forme qui les rendent accessibles aux enfants, d’autres se révèlent spécifiques aux adultes. Ainsi par exemple, ballades, randonnées ou excursions se présentent tantôt comme des activités à partager en famille parce qu’elles sont envisagées comme telles tant au niveau de la difficulté que des agréments et distractions qu’elles offrent, tantôt comme des activités qui écartent les enfants pour permettre aux adultes de développer une pratique à un niveau plus adapté à leurs compétences. On constate cependant que très souvent le public annoncé reste très vague ou trompeur. Pour poursuivre sur l’exemple de la randonnée, la formulation « réservée aux adultes » figure rarement et n’est que très évasivement évoquée dans les informations fournies lors de l’accueil, sans doute précisément parce qu’elle paraît contradictoire avec « cet esprit famille ». De même, nombre d’animations annoncées comme familiales, par exemple les tournois sportifs, se révèlent être, de par leur nature et leur organisation, des activités inaccessibles aux enfants, du fait de l’inadaptation à leur niveau et souvent à leurs attentes.
Des vacances pour chacun mais plutôt pour les adultes
Dans ce contexte qui tend à séparer les membres de la famille, émergent donc assez rarement des activités directement pensées comme « intergénérationnelles » pour reprendre la formulation du projet éducatif de l’organisme [2]. Quelques propositions sont faites pour permettre aux parents et aux enfants de partager un temps autour d’une activité ; on peut citer des visites de sites naturels, des attractions comme un zoo, des animations autour de jeux divers. Mais, là encore, les observations montrent que l’objectif est difficile à atteindre. De fait, rares sont les visites ou les excursions qui trouvent les moyens de s’adresser et d’intéresser simultanément les adultes et les enfants, en particulier lorsque l’intervention est déléguée à des structures ou organismes extérieurs au village qui n’ont pas toujours réfléchi à ce souci du partage, comme par exemple une fromagerie ou un écomusée. Restent ainsi quelques rares animations qui répondent réellement à cette volonté d’offrir un moment et une activité en famille. Il s’agit en général de propositions construites sur mesure par les professionnels du village, en particulier autour de jeux ou d’activités plus largement de divertissement.
Ainsi les observations révèlent que – malgré ou en dépit des intentions des organisateurs – c’est le plus souvent en dehors de ces temps d’activités proposés que parents et enfants se retrouvent. Outre les temps de vie privée dans les chambres ou les appartements – qui ne sont bien sûr pas spécifiques à ce mode de vacances –, les temps d’animations plus informelles qui encadrent les activités plus organisées et jalonnent la journée, apparaissent comme des moments plus propices aux interactions parent-enfant, précisément parce qu’ils ne sont pas pensés ou réfléchis en fonction des statuts d’enfant et de parent. Cependant, si on peut penser que les opportunités de mixité d’âges et de générations sont plus grandes, les observations révèlent encore des nuances puisque ces propositions visent essentiellement les adultes. Il en va ainsi des animations plus ouvertes initiées par les professionnels de l’accueil, par exemple avant les repas et en soirée, qui laissent de fait les enfants de côté, sans envisager une quelconque organisation ou proposition pour eux. Les « jeux apéro », mais aussi nombre de soirées, s’adressent de fait aux adultes soit de façon ouvertement déclarée par le contenu, comme les soirées conférences ou musique, soit de façon plus subtile en orientant le contenu de l’animation comme dans les soirées jeux, cinéma ou contes et légendes. Pour rester en cohérence avec l’intention de vacances familiales, un équilibre semble recherché qui favorise des soirées « pour tous », autour de soirées dansantes, de jeux classiques ou de spectacles produits par l’équipe d’animation. Mais, la réalité apparaît souvent différente puisque parents et enfants développent chacun de leur côté des interactions avec leurs pairs. Si la proposition permet à tous d’être présent et de participer, le déroulement et les interventions des professionnels ne semblent pas viser à favoriser et construire ce partage et ces interactions entre enfants et parents.
On retrouve ainsi globalement sur l’ensemble des villages vacances observés une focalisation sur une offre de vacances aux adultes et non aux familles. En journée, l’organisation, les fonctionnements, les activités sont souvent conçus prioritairement à destination des adultes, structurant de fait l’offre aux enfants dans une forme de complémentarité dans laquelle les enfants peuvent apparaître passer au second plan. En soirée, l’offre apparaît davantage comme une offre commune, mais elle se révèle rarement pensée en termes de partage et s’avère de fait peu destinée aux enfants.
Une éducation familiale latente mais jamais intégrée
Dans ces conditions, comment la question d’éducation familiale va trouver sa place dans ces villages vacances ? Qu’on se réfère au projet de l’institution, aux brochures ou aux observations réalisées, on aboutit de prime abord au même constat qui consiste à comprendre que la question de l’éducation familiale est très généralement absente des considérations des villages vacances. À quelques exceptions près, comme dans une des nurseries, aucun espace ni matériel n’est pensé dans ce sens ; s’il existe bien – même à minima, on l’a vu – une proposition d’activités parents-enfants, la dimension éducative ne transparaît nulle part et semble occultée ; de façon plus générale, les interventions des professionnels qui viseraient à accompagner, aider ou simplement discuter de questions d’éducation parentale semblent insignifiantes.
Cependant, la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît et une analyse plus fine permet de dépasser ce constat simple et d’observer que cette question de l’éducation familiale n’est pas totalement absente. À y regarder de plus près, on la voit ressurgir régulièrement et insidieusement, ici ou là, conduisant ainsi à une position ambiguë, voire quelque peu en porte-à-faux parfois. Si cette question éducative n’est pas strictement inscrite dans le projet de l’organisme et des villages, elle est de fait attenante aux principes établis et aux fonctionnements mis en place. L’observation au quotidien permet de saisir qu’il existe en réalité une attente, une demande, voire une injonction, de la part des professionnels pour que les parents soient présents auprès des enfants. Il leur est d’une certaine façon demandé d’assurer une présence à minima, c’est-à-dire d’assurer un cadrage des enfants nécessaire à la sécurité tout autant qu’au respect d’autrui, mais aussi parfois d’assurer une attention relationnelle qui garantisse à la fois la sérénité de tous et l’épanouissement des enfants. Cette « obligation » de présence relationnelle se révèle par exemple dans la difficulté observée chez une animatrice du club enfant devant le coup de force de parents imposant à une fillette de rester au club malgré sa détresse. Se révèle ainsi ce qui peut apparaître comme un impératif éducatif pour les parents, impératif auquel ils ne sauraient se soustraire et ce d’autant moins qu’il s’agit de prendre du (bon) temps pour eux. Bien sûr, les observations renvoyant à l’impératif d’une présence de cadrage de la part des parents sont encore beaucoup plus nombreuses. Les professionnels réagissent en effet régulièrement face aux débordements ou incidents qui émaillent en particulier les soirées lorsque les enfants sont livrés à eux-mêmes pendant que les parents sont occupés de leur côté par leur propre soirée. Ce qui peut s’apparenter à des rappels à l’ordre révèle que la question de l’éducation familiale apparaît de fait dans les difficultés qui émergent aux yeux des professionnels, c’est-à-dire dans ce qu’ils perçoivent comme des manquements des parents à assumer leur rôle.
On constate ainsi une situation paradoxale où on demande tacitement aux parents d’assurer ou d’assumer cette éducation familiale, tout en omettant d’intégrer ces aspects dans l’offre. En fait, des commentaires spontanés de certaines situations par les professionnels conduisent à penser que cette posture éducative parentale est considérée comme acquise ou établie, ou tout au moins considèrent-ils qu’elle devrait l’être. Il n’est pas non plus envisagé que le contexte de vacances, mais aussi les fonctionnements et les offres, puissent créer des conditions particulières qui déstabilisent ou désorganisent ce qui est habituellement établi dans ces interactions parents-enfants, ce qui justifierait de réfléchir et d’aider à reconstruire d’autres modes d’interactions.
De fait, ce n’est que lorsque les professionnels estiment qu’il y a des défaillances fortes et récurrentes de la part des parents que la question de l’éducation familiale apparaît. C’est précisément le cas dans l’un des villages observés, où les professionnels se trouvent régulièrement dans la position d’accompagner, de guider, voire d’éduquer, des parents dans leur mode d’interaction et de gouvernance de leurs enfants. En creusant, on comprend que, du point de vue des professionnels, il s’agit là d’une nécessité, d’un impératif qui naît des caractéristiques sociales du public accueilli et de ses difficultés. Les interventions sont alors envisagées en continuité avec les actions menées au cours de l’année par les services sociaux pour accompagner les parents dans la difficulté à construire une relation éducative parents-enfants qui soit à la fois structurante et souple. Mais les observations montrent qu’une partie au moins de ces difficultés parentales sont attenantes à la situation de vacances puisqu’il s’agit précisément de trouver des solutions pour concilier les envies et les plaisirs des enfants et des parents. Même si elles ne le gèrent pas de la même façon – ce qui resterait à voir – ces familles se trouvent confrontées à des difficultés qui concernent donc plus généralement les parents qui fréquentent les différents villages. Or, seul le village concerné prend en considération ces difficultés – même si c’est sous prétexte de carence –, par exemple en proposant un accueil en soirée dans les clubs enfants pour éviter qu’ils ne soient trop livrés à eux-mêmes ou laissés seuls dans les bungalows pendant les soirées organisées pour les adultes. Les autres villages vacances occultent de fait ces difficultés à concilier les vacances des uns et des autres, en particulier pendant ces moments d’animations plus informelles, renvoyant tacitement les parents à leur rôle et à leurs obligations sans chercher à harmoniser et à rendre compatibles les plaisirs des enfants et des parents.
La question de l’éducation familiale ne fait donc que transparaître mais sans jamais être intégrée et inscrite dans les projets et réalités des villages vacances, sauf à être envisagée en termes de difficultés ou de manquements qui conduisent à situer les interventions dans une posture de réparation, rejoignant d’ailleurs par là les approches du courant scientifique de l’éducation familiale mentionnées précédemment.
Des réalités éducatives multiples
Pourtant, les observations laissent entrevoir les potentialités éducatives d’une telle expérience familiale. Les vacances en famille créent des occasions d’être ensemble, de partage qui peuvent être autant de (re)sources d’apprentissages divers. Même s’ils sont parfois difficiles à distinguer et à cerner, on peut percevoir trois registres ou trois espaces d’apprentissage en lien avec les interactions parents-enfants.
Apprendre dans les interactions parents-enfants
En premier lieu, de façon assez fréquente, on peut observer des apprentissages qui se réalisent dans les interactions parents-enfants. On trouve ici des formes de transmissions entre enfants et parents assez classiques, dans lesquelles on apprend de l’autre, mais qui, du fait du contexte, trouvent ici des modalités plus souples. Il s’agit essentiellement d’apprentissages apportés ou induits par les parents, mais qui se colorent d’un « esprit vacances ». En effet, les pratiques de transmission de savoirs et de compétences qui émaillent les interactions au quotidien s’insèrent en situation de vacances dans une disponibilité des uns et des autres qui incite à la fois à transmettre plus, mais aussi à adopter une attitude plus détendue, plus détachée en trouvant des modalités plus fun ou ludiques. L’initiation à la natation se transforme par exemple vite en un jeu de chat sous l’eau. Ces interactions éducatives sont sans doute assez similaires à ce qui se développe dans des espaces/temps de loisirs, par exemple lors des week-end lorsque parents et enfants se retrouvent pour partager une activité. En revanche, le déplacement ou la délocalisation attenant aux vacances dans le village nourrit une autre forme d’apprentissage en offrant des occasions de découvrir des nouveautés, de l’inconnu qui renvoient plus directement au tourisme. Parents et enfants peuvent alors se retrouver pour partager une découverte, une expérience, pour apprendre ensemble, c’est-à-dire à la fois simultanément et mutuellement. C’est précisément cette dynamique qui semble à l’œuvre dans les différentes visites et excursions programmées par les villages vacances ou par les familles elles-mêmes. Les visites d’une confiserie, d’un zoo, mais aussi d’une fromagerie en sont des exemples… ou parfois des contre-exemples en ce qu’ils permettent de mesurer toute la « fragilité » de cette forme d’apprentissage. Que l’enfant soit trop jeune ou trop vieux, que la mise en forme des connaissances par le conférencier ou les panneaux soit confuse ou trop dense, que les parents adoptent une modalité précisément trop pédagogique, et la rencontre ne se fait pas ou peu. Cette forme de l’éducation familiale qui consiste à apprendre ensemble, entre parents et enfants, apparaît ainsi dans sa pertinence, mais aussi dans toute la difficulté qu’il y a à la mettre en œuvre et qui justifierait donc un travail et une réflexion des villages vacances avec leurs partenaires offrant des activités touristiques.
Apprendre sur les interactions parents-enfants
En second lieu, on peut percevoir un espace d’apprentissage portant directement sur les interactions parents-enfants, c’est-à-dire qui prend ces interactions elles-mêmes pour objet. Même si c’est difficile parce que fugace, on peut en effet observer des pratiques qui mettent en évidence un processus d’apprentissage ou plus largement d’évolution des modes d’interactions parents-enfants. Pour les parents comme pour les enfants, il s’agit d’enrichir leurs façons d’être ensemble, de vivre avec, mais aussi leurs façons de construire ces interactions spécifiques qui tiennent au caractère particulier de ce binôme d’acteurs et qui se caractérisent précisément par la dimension éducative.
Ainsi, au fil des observations des autres, des apprentissages se dessinent sur le comment être « enfant de » ou « parent de », sur ce que ça impose, autorise, interdit, etc., sur les modalités de relation(s) à construire ou encore sur la façon d’inscrire ces relations dans ce fondement éducatif de la famille. Car de fait, le village vacances constitue un espace-temps où la vie de famille s’expose aux autres familles ; sans intention, chacun se donne à voir et voit se dérouler, se vivre les relations entre parents et enfants. Si elle n’est pas complètement spécifique à la situation, cette confrontation à d’autres modalités d’interactions quotidiennes et banales entre parents et enfants, qui est assez rare dans les formes de vie sociale actuelle, se trouve ici renforcée par la cohabitation des familles, en particulier dans les formules en pension.
Même si les observations ne permettent pas de distinguer précisément et ouvertement les contenus de ces apprentissages, on peut trouver des traces qui orientent vers différents aspects.
En côtoyant les binômes parents-enfants, les parents découvrent ce que sont les enfants des autres, comment ceux-ci se comportent dans leur famille, ce qu’ils demandent/exigent des parents, ce qu’ils admettent ou refusent, etc. Cette confrontation à la diversité leur permet de situer leur(s) enfant(s) par rapport aux autres et par là même de se rassurer ou de relativiser les situations. De même, ils peuvent percevoir les différentes modalités que construisent les autres parents dans leur relation à leur(s) enfant(s). Il s’agit en somme d’un apprentissage des parents à « être parent » qui se développe par observation, voire par discussion entre eux. On a cependant observé assez peu d’éléments précis, en partie du fait de la difficulté à saisir sur le vif ces apprentissages. Les pratiques qui sont perceptibles sur ce point semblent davantage concerner les familles les plus favorisées socialement, sans doute parce qu’elles prolongent ainsi des pratiques assez régulièrement inscrites dans leur quotidien. Pour d’autres parents, les éléments observés conduisent à se demander si la situation de vacances n’appelle pas à faire une pause – aussi – sur cette activité, voire ce casse-tête, « d’être parent », ce qui les conduit à prendre de la distance et à désinvestir la posture momentanément. À l’inverse, il semble que les grands-parents s’inscrivent assez souvent dans cette dynamique d’apprentissage du rôle éducatif en cherchant une inspiration chez des parents de la jeune génération pour adapter, au moins en partie, leur mode éducatif passé aux formes éducatives actuelles et aux habitudes et attentes de leurs petits-enfants.
De leur côté, les enfants observent aussi ces mêmes binômes et, de façon un peu symétrique, ils découvrent à la fois comment les autres enfants interagissent avec leurs parents et ce que sont les autres parents et leurs façons d’interagir avec leur(s) enfants(s). S’ils peuvent ainsi voir des pairs plus exigeants ou plus accommodants, plus autonomes ou plus attachés, etc., ils se trouvent aussi confrontés aux pratiques des autres parents. Ces références extérieures peuvent être autant d’appuis pour saisir la nature essentiellement éducative des interactions parent-enfant, mais aussi la diversité de celles-ci, qu’elles soient jugées « meilleures » ou « pires » que ce qu’ils vivent personnellement. Là non plus, les indices strictement observés ne sont pas très nombreux parce que les fonctionnements et l’offre ne permettent que rarement la constitution de collectifs ou de regroupements de familles, comme on l’a vu. Les observations montrent que les situations les plus favorables sont celles de familles qui se connaissent préalablement au séjour ou qui nouent des relations d’affinités au cours du séjour, ce qui les conduit à se côtoyer plus régulièrement.
Apprendre à partir des interactions parents-enfants
Enfin, un dernier espace d’apprentissage peut être mis en évidence à partir des interactions parents-enfants. On peut ici appréhender l’expression « à partir » avec une double lecture puisqu’il s’agit à la fois d’apprentissages qui « s’organisent à partir de », autrement dit qui s’appuient sur les interactions parents-enfants, mais aussi d’apprentissages qui « conduisent à partir de », autrement dit à sortir de ces interactions ou plutôt à les dépasser.
L’essentiel de ce dernier registre s’articule autour de l’apprentissage de l’autonomie et concerne de fait autant les parents que les enfants. Cet apprentissage se développe tout d’abord au niveau de l’organisation des journées et du choix des activités proposées. En se positionnant sur « faire ensemble » ou « faire séparément » entre parents et enfants, il s’agit pour les uns et les autres de poser la question de leur autonomie. Les observations sont assez claires pour saisir que ce sont tantôt les parents qui cherchent la leur lorsqu’ils choisissent des activités entre adultes, tantôt les enfants qui la revendiquent en préférant les clubs où ils se retrouvent entre pairs aux activités familiales. La concomitance permet l’épanouissement de chacun, mais à l’inverse lorsque les intentions ne sont pas partagées, il s’agit d’apprendre à gérer les amertumes ou les regrets, d’apprendre à faire sans l’autre, pour les parents comme pour les enfants. Cet apprentissage de l’autonomie de chacun se révèle surtout dans les moments interstitiels et dans les soirées. On peut ainsi observer comment parents et enfants, chacun à leur façon, vont expérimenter voire tester des pratiques pour donner ou prendre davantage de liberté. C’est vrai pour les enfants qui s’aventurent de plus de plus loin des parents, qui s’organisent de plus en plus entre eux, par exemple au moment des repas. C’est vrai des parents qui vont aussi de plus en plus s’accorder des moments pour eux, en prenant de la distance avec ce rôle de garant ou de contrôle des faits et gestes des enfants. Il s’agit en fait pour ces derniers d’apprendre à construire « la bonne distance », celle qui laisse la liberté à l’enfant de faire à sa façon, tout en garantissant la sécurité mais aussi cette présence qui assure le bien-être et la confiance.
Conclusion
Cette observation participante de familles en vacances révèle ainsi des aspects éducatifs touchant de multiples façons les interactions entre enfants et parents. Cependant, la question de l’éducation familiale reste une perspective très lointaine dans les villages vacances étudiés. Si les séjours sont bien le temps et le lieu de formes et de contenus éducatifs particuliers, ceux-ci ne semblent pas intégrés par l’organisme qui ne construit que très rarement ses actions dans cette perspective. Les apprentissages informels qui apparaissent entre parents et enfants d’une même famille ne sont pas accompagnés et enrichis. Les apprentissages des postures de parent et d’enfant qui se développent de façon fortuite dans le « entre familles » ne sont pas mis en valeur et nourris. L’apprentissage d’une forme éducative basée sur l’autonomie mais aussi sur l’accompagnement qui permet de construire des mondes distincts, mais non indépendants et encore moins opposés entre enfants et adultes, est encore davantage occulté. Pourtant un certain nombre de conditions semblent réunies pour construire un espace/temps où les interactions parents-enfants se développent sur un autre mode, permettant ainsi à l’éducation familiale de trouver une place… à condition de s’ouvrir à des modalités d’éducation plus informelles.