Longtemps marginalisé en tant qu’objet scientifique peu légitime, le tourisme interpelle de plus en plus les sciences sociales, autant du point de vue théorique que de celui des défis méthodologiques qu’il pose. Les recherches portant sur les phénomènes touristiques acquièrent une véritable reconnaissance scientifique contribuant à structurer un champ disciplinaire autonome, à l’image des tourist studies d’empreinte anglo-saxone. Toutefois, les questions liées à l’apprentissage demeurent encore marginales et cela malgré le fait que le tourisme soit historiquement construit en tant que pratique expérientielle de développement individuel, socialement exploité comme moyen d’encadrement des classes populaires et culturellement investi pour contribuer à leur éducation morale. Paradoxalement l’emboîtement de ces pratiques et les dimensions éducatives, emboîtement parfois donné pour acquis, rarement discuté ou érigé en objet d’étude en soi, est un des points aveugles non seulement des tourist studies mais également des recherches en éducation.
Les travaux s’intéressant aux phénomènes et aux dynamiques d’apprentissage balisent le champ en privilégiant les aspects qui suivent :
- les aspects plus généraux : apprendre à être touriste (Ceriani et al., 2004 ; Stock, 2005 ; Équipe MIT, 2002 ; Löfgren, 1994) et par conséquent à résoudre les problèmes pratiques qui se posent aux touristes (Brown, 2007) ;
- les aspects structuraux : la construction pédagogique des lieux dans les structures de tourisme de masse (Réau, 2005) ;
- les aspects idéologiques : la vocation parfois éducative et moralisatrice des pratiques touristiques, notamment celles à l’usage des classes populaires (Pattieu, 2007) ;
- les aspects comportementalistes : les changements qui interviennent, au niveau du comportement des familles populaires notamment, après des expériences touristiques (Lehto et al., 2004 ; Minneart et al., 2009) ;
- les aspects identitaires ou d’autoformation : le développement personnel et la quête de soi qui motivent les pratiques touristiques, en particulier lorsqu’il s’agit du tourisme durable et solidaire, du « tourisme des racines » (Legrand, 2006), du tourisme d’initiation ou de « conversion » (Chabloz, 2009) ou encore du tourisme dit culturel.
En dehors des études sur les pratiques touristiques explicitement didactiques ou éducatives, et des études sur les apprentissages spécifiques à la dimension touristique (Löfgren, 1994, 1999), qui mettent l’accent sur les « problèmes pratiques » (Brown, 2007 : 364) ainsi que sur les « compétences à se positionner dans un réseau complexe et articulé » (Ceriani et al., 2004), la question des apprentissages reste marginale et très peu exploitée théoriquement (Mitchell, 1999 ; Ryan, 1999). Est-il alors légitime de s’interroger sur les apprentissages par et du tourisme ? Si l’on ne s’arrête pas à considérer l’éducation comme une « action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale » (Durkheim, [1922] 2003 : 51), mais qu’on lui attribue un caractère de permanence qui en fait un processus social quotidien (Brougère et Ulmann, 2009) se déroulant tout au long de la vie, il est évident que les touristes, qu’ils soient vacanciers, voyageurs ou explorateurs, apprennent bien des choses et pas seulement à « pratiquer le tourisme » (MIT, 2002 : 135).
Le projet du colloque était, en premier lieu, de faire le point sur les recherches qui d’une façon ou d’une autre mettent en relation tourisme et apprentissages ; deuxièmement de stimuler les chercheurs à s’emparer de cette question en déplaçant leur point de vue (parfois de très peu tant la question des apprentissages peut être sous-tendue par certains travaux). Mais pour cela, il importe de dissocier l’apprentissage de la présence de dispositifs formels d’éducation, de le considérer comme une dimension de toute pratique sociale, comme les travaux sur l’apprentissage situé (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 2005) l’ont explicité. C’est en effet dans le cadre d’une réflexion sur ce type d’apprentissage qu’EXPERICE a décidé de s’intéresser au tourisme, en renouvelant un champ d’investigation très largement tourné vers le travail et les pratiques professionnelles. La situation de travail (avec l’apprentissage sur le tas connu de tous) a été fortement investie pour saisir ces apprentissages, au point que les concepts qui sont produits y sont le plus souvent liés. Il nous a semblé (en continuité avec nos travaux sur le jeu, le loisir, mais aussi les rencontres interculturelles et les échanges scolaires) que le tourisme était une situation permettant de poser la question de l’apprentissage dit informel dans le contexte du loisir, et sans doute de contribuer à la théorisation de ce champ. Les premières recherches empiriques sur le tourisme social que nous avons menées nous invitent à penser que l’intuition est bonne, mais il importe de la confronter à d’autres recherches et d’autres contextes. D’où ce colloque, dont l’objectif était de discuter les apports, du point de vue des apprentissages, que les vacances et la dimension touristique produisent ou contribuent à produire au niveau individuel, familial ou collectif.
Nous attendions moins de projets de communication (qui n’ont pu tous être acceptés) et avons été heureusement surpris par des propositions qui permettent de mieux saisir les processus d’apprentissage dans le tourisme mais aussi d’étendre le champ à travers des problématiques très diversifiées.
On trouvera ici les communications dont les auteurs nous ont fourni une version écrite. Pour saisir la réalité de la manifestation, on pourra se reporter au programme et aux résumés des communications. Les différents titres des séances regroupant les contributions montrent la diversité des thématiques rencontrées. On y trouvera la question de l’apprentissage du tourisme lui-même, comment on devient touriste et comment se développe une carrière de touriste qui voit ses pratiques évoluer avec le temps et l’expérience. La question du tourisme des racines à travers des recherches sur les vacances en Algérie des descendants d’immigrés est interrogée ici sous l’angle des apprentissages qui valent sans doute au-delà de la population étudiée. La mise en tourisme elle-même suppose la référence à des dispositifs éducatifs conçus comme tels. La relation avec la société locale permet de saisir que si elle est une ressource éducative pour les touristes, ses membres apprennent eux-mêmes du tourisme et des touristes. Parmi les apprentissages que l’on peut repérer, ceux qui concernent le corps, les émotions semblent avoir un rôle important ; il y a peut-être là une des spécificités du tourisme. Le tourisme peut être lui-même associé à des démarches éducatives formelles, scolaires, ou être le moyen d’interroger les modes d’éducation (parentale par exemple). Il y a donc des liens entre éducation formelle ou reconnue et tourisme à explorer. La question de savoir comment appréhender ces apprentissages est à la fois essentielle et difficile.
Ce colloque a jeté les premières bases de la construction d’une thématique de recherche qu’il importe d’approfondir. La publication des actes du colloque est, littéralement, le premier acte de cette démarche à poursuivre.